Créer un persona, c'est éviter de designer pour soi

La conception centrée sur soi est un écueil majeur qui peut compromettre l'ensemble d'un projet digital. Prenons l'exemple de cette startup fintech qui avait conçu une interface de gestion de budget "intuitive" - du moins pour son équipe de développement composée d'ingénieurs financiers. Le résultat ? Un taux d'abandon de 80% lors de l'onboarding, les utilisateurs étant perdus face à une terminologie trop technique.

Le "moi, je" se manifeste de plusieurs manières :

• L'illusion de clarté : "Pour moi c'est évident" - alors que ça ne l'est que parce que nous connaissons le produit par cœur
• Le biais d'expertise : "Je cliquerais ici" - en oubliant que nous avons des années d'expérience en design d'interface
• La projection : "Je comprends ce texte" - sans prendre en compte les différents niveaux de lecture de nos utilisateurs

Face à ce problème, beaucoup se tournent vers les personas comme solution miracle. Pourtant, mal utilisés, ils peuvent renforcer nos biais plutôt que les corriger. J'ai vu de nombreux projets où les personas n'étaient que des caricatures déconnectées de la réalité, servant plus à justifier des décisions déjà prises qu'à vraiment comprendre les utilisateurs.

Les écueils classiques incluent :

• Des personas qui ressemblent plus à des personnages de sitcom qu'à de vrais utilisateurs, créés lors d'une session brainstorming arrosée au Red Bull ("Kevin, 28 ans, digital nomad passionné de CrossFit qui ne jure que par son iPhone")

• Des fiches remplies d'informations aussi pertinentes qu'un cours de tricot pour des poissons rouges ("Aime Instagram et le avocado toast" - wow, quel insight révolutionnaire pour notre app de comptabilité !)

• Des personas qui finissent leur vie triste dans un coin poussiéreux de Figma, aussi utiles qu'un parapluie en papier, pendant que l'équipe design continue joyeusement à créer des interfaces basées sur leurs propres préférences de hipsters tech-savvy. Ces pauvres personas, créés avec tant d'enthousiasme lors d'un workshop qui semblait productif, finissent par rejoindre le cimetière des deliverables UX, quelque part entre la user journey map jamais mise à jour et le rapport d'analyse concurrent qui date de 2019

La solution réside dans une approche plus rigoureuse et systématique. Un grand groupe e-commerce a récemment transformé son approche en intégrant trois pratiques clés :

• Des personas évolutifs basés sur une mine d'or de données tangibles (analytics qui font briller les yeux de ton CPO, interviews qui donnent du sens à ta vie de designer, et tests utilisateurs qui confirment que non, vraiment, personne ne comprend ton mega-menu)

• Une validation systématique et quasi-obsessionnelle des hypothèses de design par des tests utilisateurs minutieux (parce que non, ta mère n'est pas un panel représentatif, même si elle trouve ton interface "très jolie")

• Un processus de décision digne d'une enquête scientifique, où chaque pixel doit justifier son existence par des preuves concrètes, pas juste parce que "ça fait joli sur le mood board" ou que "le CEO préfère le bleu"

Cette approche a permis de réduire de 40% les abandons de panier et d'augmenter la satisfaction client de 25%.

Se détacher de ses propres biais est un exercice difficile mais crucial en UX Design. Cela demande de l'humilité, de la rigueur et une remise en question constante. Les meilleurs designs ne sont pas ceux qui nous plaisent le plus, mais ceux qui répondent réellement aux besoins et aux capacités de nos utilisateurs.